mardi, mars 06, 2007
Réseau routier impraticable à El Eulma
Publié le : lundi 8 janvier 2007. Fawzi Senoussaoui, Liberté
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Le réseau routier d’El Eulma, deuxième ville de la wilaya de Sétif, est devenu impraticable, surtout après les dernières pluies. Il est dans un état de délabrement très avancé. Les opérations de réhabilitation entreprises par les services de l’APC n’ont engendré que gaspillage d’argent et d’efforts.
“Au lieu de refaire les routes, qui n’ont pas été rénovées depuis plus de 25 ans, l’APC a préféré des opérations de bricolage”, nous ont affirmé des citoyens et des automobilistes. Ces travaux “rapides et peu soignés”, réalisés avec des moyens de fortune, ne résistent que quelques semaines, voire quelques jours, puis on voit réapparaître de nouvelles crevasses par le fait de l’érosion. Il est à rappeler qu’une route bien faite est garantie, en principe, dix ans.
“Je ne comprends pas pourquoi on paie la vignette, cela fait plus de 5 ans que je débourse 5 000 dinars par an. À ma connaissance, elle a été conçue pour la réfection des routes mais nous n’avons rien vu. Pourquoi continuons-nous à la payer ?” s’interroge Djamel, un automobiliste que nous avons rencontré à la cité Tabet-Bouzid. Cette situation, qui suscite le mécontentement des Eulmis, est pire dans les cités implantées derrière la façade du chef-lieu de daïra, telles que les cités Behlouli, Souamâa, Boukhebla, Bourefref, Goutali et autres quartiers où persistent des égouts éclatés, des déblais solidifiés, des eaux stagnantes et des ruelles défoncées constituant un véritable danger, et pour les piétons, et pour les automobilistes qui ont la phobie des routes qui ont, ces dernières années, subi des détériorations sans précédent. “Ce n’est plus El Eulma où nous sommes nés. Avant, c’était une ville propre où les routes étaient bien entretenues”, nous a confié Mohamed, un sexagénaire. “Je ne sais pas pourquoi ces élus ne travaillent pas pour améliorer le cadre de vie du citoyen. Normalement, ils se sont fait élire pour nous servir”, s’est interrogé notre interlocuteur.
Faouzi Senoussaoui
Algérie : LA CORRUPTION INSURRECTIONNELLE DE L'AFFAIRE KHALIFA
Beaucoup de jeunes défilent dans les salons de coiffure pour se faire un bouc à la Moumen. Le golden-boy est devenu leur idole. Ils voient en Khalifa une sorte de Jesse James, ce cowboy qui «volait l’argent des riches pour le donner aux pauvres».
Depuis que le tribunal de Blida procède à une autopsie minutieuse et pédagogique du cœur du problème Khalifa, on découvre comment la banque était à la fois irriguée et spoliée de l’épargne publique. Tout le reste des affaires judiciaires du groupe découlera de l’intelligence de ce procès.
D’emblée, un effet de mode est nettement perceptible. Beaucoup de jeunes défilent dans les salons de coiffure pour se faire un bouc à la Moumen. Le golden-boy est devenu leur idole à la manière de Ben Laden. Il a ridiculisé le système et demeure insaisissable en le narguant par satellite. Les jeunes voient en Khalifa une sorte de Jesse James, ce cowboy qui « volait l’argent des riches pour le donner aux pauvres ». Comme cette anecdote du policier de l’aéroport à qui il offre une voiture, ou ce steward à qui il accorde en plein ciel un crédit pour acheter un logement.
Plus sérieusement, le verdict le plus radical a été prononcé par l’écrivain Yasmina Khadra, qui déclare au journal DNA que l’Algérie est revenue « à la case départ. Nous sommes de nouveau en 1962 au sortir d’une guerre avec les mêmes dirigeants impénitents et inexpérimentés. C’est une malédiction. Le népotisme, le crime d’État organisé, la spoliation, la boulimie règnent. Pour l’heure, je ne vois pas d’issue. Je suis fatiguée. »
Tous les intellectuels sont fatigués et abasourdis par ce chaos financier, la démesure des détournements, cette overdose de scandales, une quasi-démence collective. Ce n’est pas un hasard si, avant le procès, Bouteflika a prononcé deux discours d’impuissance et de fin de règne, invectivant les responsables. Connaissant les détails sordides de ce dossier, il sent bien venir la désapprobation populaire et internationale. Les dégâts sont irréversibles et dévastateurs. Quelle crédibilité peut avoir un pays avec un tel déballage d’incompétence, de complicité et de corruptibilité au degré le plus bas du billet d’avion à la séance de thalasso.
Le gouvernement, dont plusieurs membres ont aidé à naître, grandir et mourir le groupe Khalifa, s’amuse à réinventer « l’eau chaude », comme la création de cellules d’audit, le renforcement des inspections des finances publiques. Mais cela est censé exister. Et à quoi sert la Cour des comptes ? Pourquoi les responsables du Trésor et des banques publiques ont-ils laissé vider leurs coffres sans dissuader leurs clients et tirer la sonnette d’alarme ? Et le silence des commissaires aux comptes ? Un expert-comptable est capable d’un seul coup d’œil sur un document, un bilan, un ratio, une procédure ou un acte de gestion de déceler les failles et d’en aviser immédiatement qui de droit : les actionnaires et le procureur de la République.
Est-ce un hasard si toute cette période de gabegie bancaire a coïncidé avec le gel prolongé et conflictuel de l’Ordre national des experts-comptables, dont les membres ont fait le dos rond et rasé les murs des institutions qu’ils étaient censés contrôler, alors que la seule évocation de leur visite doit faire trembler tout gestionnaire. Dès que le liquidateur et les experts ont été missionnés, les détournements de Khalifa ont été décelés et reconstitués en deux temps, trois mouvements. Parce que c’est leur métier, parce qu’ils ont des compétences reconnues, parce qu’ils ont suivi un cursus de formation et un parcours professionnels balisés.
La généralisation de la corruption bancaire est connue de tous, certes. Mais les détails sont pour la première fois disséqués dans un procès public. C’est instructif d’entendre comment on a manipulé sans retenue des dépôts, crédits, transferts, intérêts, terrains, appartements, villas, voitures, billets d’avion, etc... Tous les projecteurs sont braqués sur Rafic Khalifa en oubliant que d’autres groupes privés ont été montés comme des fast-foods avec des crédits bancaires à fonds perdus et des surfacturations. Ceux qui se prennent pour des « capitaines d’industrie », en pérorant aujourd’hui dans les médias et les conférences, ne trompent personne sur l’origine de leurs richesses alors qu’ils n’étaient que comptable, commerçant ou ancien moudjahid. Qu’ont-ils inventé ? Quelle est l’originalité de leur produit ? Est-ce donc un exploit économique de vendre des voitures qu’on est incapable de fabriquer ? Comment de nouvelles usines à boissons ont-elles pu dépasser aussi vite une marque centenaire comme Hamoud Boualem ? Comment de petits patrons de PME en sont-ils arrivés aujourd’hui à côtoyer les grands patrons du MEDEF ? Le mimétisme social pousse les gens à se poser la question : comment a-t-il fait pour devenir aussi riche alors qu’il n’a aucun talent ? Dans tous les cas, la réponse est évidente : avec l’argent des autres, des banques, de l’Etat.
Les affaires Khalifa Bank, Union Bank, CA Bank, BCIA-BEA, BNA, BADR, ne relèvent pas seulement de délinquance ou d’association de malfaiteurs, mais d’une véritable insurrection financière. On s’enrichit par tous les moyens et on se couvre mutuellement. Le pays est riche, mais ses richesses sont mal distribuées. La répartition des revenus est inégale et injuste. Alors tous ceux qui en ont la possibilité n’hésitent plus à se servir. Les statistiques d’intendants, économes, comptables, caissiers, receveurs, banquiers, etc... condamnés pour détournements dépassent l’entendement.
La culture et l’économie de la rente n’ont jamais cessé dans ce pays. Cela a commencé avec des cageots d’oranges ou de patates des domaines autogérés, puis des bons d’achat aux souk el fellah, bons de véhicules Sonacome, logements, terrains, crédits, etc... Au fur et à mesure que le pays s’enrichit, la boulimie de la rente augmente proportionnellement. Et puisque le contrôle ne suit pas, pourquoi se gêner, on tape dans la caisse, d’abord à la petite cuillère, puis à la louche, puis dans des sacs.
Les neuf cents agents de sécurité de Khalifa n’assuraient aucune sécurité. Ils étaient recrutés et percevaient une rente parce qu’ils étaient les fils d’un tel ou les cousins de tel autre. Les jeunes d’aujourd’hui ne veulent pas se fatiguer pour des clopinettes. En attendant de s’enrichir, ils ont pour ambition deux choix de carrière : agent de sécurité ou chauffeur. C’est pour ça que le pays est contraint d’importer des Chinois pour construire des logements.
Jusqu’à quand le salaire d’un fonctionnaire ou d’un ouvrier sera-t-il inférieur aux gains d’un vendeur à la sauvette ou d’un gardien de parking ? Comment admettre qu’à compétences et responsabilités égales, les managers algériens touchent des salaires misérables, alors que des managers étrangers dirigent des entreprises algériennes avec des salaires de 5000 à 30.000 €/mois ? Les contrats de management sont une insulte à l’honneur et aux compétences de tous les cadres algériens. C’est ce mépris gouvernemental des travailleurs et des cadres qui a créé ce phénomène de corruption insurrectionnelle qui gangrène toutes les institutions de l’Etat, comme dans les républiques bananières. Comment s’étonner alors que des cadres se bousculaient chez Khalifa pour proposer les dépôts de l’argent public en échange de commissions et de cadeaux ?
Pour citer Kaïd Ahmed, « avant que le groupe Khalifa ne se crée, l’Algérie était au bord du précipice, depuis sa mise en faillite elle a fait un grand pas en avant ». Continuer dans ce mode de gouvernance avec les œillères de l’autosuffisance, c’est aboutir une fois de plus à des crises politiques et des règlements de comptes sanglants. Pour faire cesser la corruption insurrectionnelle, le pouvoir n’a pas d’autre choix que d’instaurer des règles institutionnelles de partage des richesses justes et équitables en commençant par une politique des salaires répondant aux normes d’un pays qui s’est enrichi et aux ambitions d’une population qui ne veut plus attendre.
samedi, mars 03, 2007
REBONDISSEMENT "AFFAIRE SAMAÏ DE EL EULMA"
Où est passée la plainte pénale de 1997?
Où est passée la plainte pénale avec constitution de partie civile déposée en 2001?
Où est passée la plainte pénale portant le N° 3972 déposée au Tribunal de EL EULMA et transmise au parquet de Sétif le 10 novembre 2003?
Mystère!!!
La plainte dont l'objet était: Captation d'héritage avant ouverture de succession et partage, n'a jamais été instruite - Pourquoi?
Le plaignant dépose plainte contre TOUS les HERITIERS et expose que les biens du De Cujus ont été captés avant le partage et ce par des voies frauduleuses, de trafics d'influence. Délit sanctionné conformément aux articles 363 et 214 du code pénal.
Le plaignant réclame ses parts dans différents immeubles (bâtis) dans la ville de EL EULMA et terres agricoles au lieu dit GUELT ZERGUA et Douar BAZER et dans 3 autres départements, lui revenant de ses ascendants.
Le propriétaire décédé en 1962 n'a jamais fait de donation, ni de testament de son vivant contrairement à ce qui était avancé en 1964 et 1965.
Le "partage" ainsi réalisé est une captation pure et simple et une spoliation d'héritage. La part revenant aux parents du demandeur n'a jamais été précisée. Ils ne sont pas entrés en possession de leurs biens de leur vivant.
Le partage établi par groupes d'héritiers est une escroquerie destinée à favoriser l'indue jouissance, l'enrichissement puis par voie de conséquence le détournement frauduleux au moyen de faux et usage de faux - faux en écriture publique.
L'un des héritiers direct a eté violenté d'où il s'en est suivi un déces resté inexpliqué à ce jour.
Ces moyens de fraude pour captation et détournements de la TOTALITE de l'héritage à TEJNENET, CONSTANTINE, TEBESSA et EL EULMA sont criminels.
Le demandeur est actuellement victime de menaces et tentative d'intimidation.
Un arrêt de la Cour suprême (Jurisprudence: dossier N° 68660 en date du 02-05-1995 page 184) dispose que: "quiconque prend possession d'une part de terre d'héritage sans l'accord des autres héritiers et/ou y érrige des constructions ILLICITES commet un crime pour captation par des moyens frauduleux".
Cette captation d'héritage qui a eu lieu depuis le décés du De Cujus des parties est un déli continu IMPRESCRIPTIBLE (références légales: Arrêt 13-05-1986 N°276)
Par conséquent il est juste de s'interroger et de se demander pourquoi à EL EULMA toutes les pièces de preuves transmises (fredhas, états fonciers du De Cujus, partage vicié, faux actes indiquant pourtant le nom des notaires et des bénéficiaires)ont disparu? D'autant que ces faux actes ont tous été enregistrés aux Domaines de EL EULMA et TEBESSA aprés dénaturation de l'origine de propriété.
Un des notaires de l'affaire dont le nom apparaît sur certaines transactions et écritures a écopé de 20 ans de prison dans une autre affaire. Il est actuellement en libérté.
Cela fait 45 ans que l'Affaire SAMAÏ constitue un déli continu et une souffrance pour les victimes. Cela fait 10 ans qu'elle est étouffée et pour combien de temps encore?
Cherchez l'erreur...
dimanche, février 25, 2007
Procès de la caisse principale d’el khalifa bank
JOURNAL LIBERTE
De 12 à 20 ans de prison requis contre les collaborateurs de Moumen
Par : Samar Smati
Le procureur général a requis, hier en début de soirée, des peines sévères à l’encontre des 94 inculpés présents.
Le réquisitoire fera l’effet d’une onde de choc tellement les peines seront lourdes au maximum de ce que le législateur a prévu. Le ministère public demandera 20 ans de prison à l’encontre du directeur de la caisse principale, des directeurs des agences KB, des frères Chachoua et de Djamel Guélimi. En tout 10 personnes. Il requiera 18 ans de prison à l’encontre du notaire, 16 ans contre l’ancien directeur de l’agence BDL de Staouéli, ainsi que 15 ans de prison ferme contre l’inspecteur général adjoint d’El Khalifa Bank, les responsables du sponsoring et Ighil Meziane. Le procureur général demandera également 12 ans contre Boukadoum et Zerrouk Djamel, respectivement directeur général et directeur des finances de Khalifa Airways, 10 ans pour six autres inculpés dont l’adjoint du caissier principal, le garde du corps de Abdelmoumen Khelifa et l’un des directeurs de la comptabilité.Pour les deux stewards, le père Chachoua, le beau-frère de Abdelmoumen Khelifa et trois autres personnes, 7 ans de prison ferme ont été requis. Pour Foudad Adda, le commissaire divisionnaire, il demandera 8 ans de prison et le seuil maximum de l’amende financière. Le PG demandera la saisie des biens immobiliers acquis par certains accusés. Pour 7 autres inculpés, le parquet demandera 5 ans de prison, 500 000 DA d’amende et prise de corps immédiate à l’audience. Il requiera 4 ans contre les commissaires aux comptes, 500 000 DA d’amende et la privation totale de l’exercice professionnel. Quant aux autres, il demandera 4 ans de prison ferme, 5 000 DA d’amende et prise de corps immédiate pour corruption à l’encontre de 6 responsables d’entités publiques dont Ali Aoun et Kheiredine El-Oualid.Le procureur a également requis 4 ans et 5 000 DA pour une accusée, 3 ans et 10 000 DA pour un autre, 3 ans et 20 000 pour 2 autres et 3 ans de prison pour 9 autres inculpés. Pour 15 accusés, il demandera 2 ans de prison et 5 000 DA d’amende. Le représentant du ministère public requiera enfin 18 mois de prison et 10 000 DA d’amende pour les cadres de Khalifa accusés d’abus de confiance pour ne pas avoir remis, selon lui, leur véhicule de service et leur portable dans les délais impartis par le liquidateur.Pour les accusés en fuite, dont RAK, il ne requiera les peines que quand les procédures par contumace auront lieu. Les peines requises hier par le procureur général choqueront plus d’un dans la salle et provoqueront une vague d’effroi chez les inculpés et leurs proches.
S. S.
mercredi, février 14, 2007
L’enfant kidnappé retrouvé mort
El-Eulma / Il a été pendu avec du fil de fer barbelé
Source : L'Est Républicain
Le rapt dont a fait ’objet l’enfant de 11 ans dimanche dernier, par des ravisseurs qui exigeaient le versement d’un milliard de cts avant de revoir ce chiffre à la baisse (100 millions et une voiture de luxe) comme rapporté dans notre édition d’hier, a connu un bien triste épilogue : la victime a été retrouvée sans vie, jetée sur la route du côté de la commune de Tizi-N’Bechar relevant administrativement de la daïra de Ammoucha, au Nord du chef-lieu de wilaya. Comme pour donner davantage de dimension à leur barbarie, les criminels ont pendu cet enfant qui n’aura fêté à peine qu’onze printemps, et à l’aide de quoi ? un fil barbelé !
Les éléments de la brigade de gendarmerie de Tizi-N’béchar, qui ont découvert le corps, ont aussitôt contacté leurs collègues d’El-Eulma qui se sont immédiatement rendus au domicile des parents pour leur demander d’aller sur les lieux confirmer l’identité de leur fils. C’était avant-hier vers 20 heures.
La dépouille de la victime a été inhumée hier au cimetière Zaouia dans la commune de Baler – Sakhra en présence d’une foule encore bouleversée et en émoi. Signalons que par ailleurs, le jour du rapt, les parents de l’enfant consommaient un deuil suite à la mort d’un oncle tout récemment.
On imagine alors combien est accablée cette famille frappée d’un double malheur. Si pour le cas d’une mort naturelle, on conçoit la chose tant bien que mal, il ne peut être de même pour un odieux assassinat commis sur un mineur.
Un crime que rien ne justifie et qui renseigne, si besoin est, sur le degré d’encanaillement de notre époque, de notre société s’entend. La barbarie du jour signe la déchéance des valeurs morales, déjà mises à mal par d’autres actes, terroristes ceux-là, consistant à cuire au four des êtres humains !
Frapper, voire tuer ses parents n’est pas le moindre des exemples qu’on peut citer pour prouver que l’humanité déserte les coeurs, et à quelle vitesse !
Rami Djerdi
dimanche, février 11, 2007
FAILLITE
Economie
La Tribune.fr - 12/01/07 à 15:41 - 5319 mots
Faillite
Retour sur l'affaire Khalifa alors qu'a débuté son procès
Le 8 janvier dernier a commencé le procès de la faillite de la banque Khalifa. Son principal protagoniste s'est réfugié à Londres. Retour sur son sulfureux parcours via les extraits du livre écrit sur cette affaire par Akram Belkaïd, journaliste à la Tribune.
A la fin des années 1990, un jeune homme d'affaires, presque inconnu, Rafik "Moumen" Khalifa, défraye la chronique algérienne en bâtissant en un rien de temps un gigantesque empire financier. Banque, compagnie aérienne, société de location de voitures : Khalifa est omniprésent et devient très vite la vitrine d'une Algérie qui sort d'une décennie de crise et d'affrontements armés entre le pouvoir et les islamistes. Le golden-boy se fera même connaître en France en fréquentant le gotha des affaires et en frayant avec plusieurs stars.
En 2003, la chute est brutale. L'empire Khalifa s'effondre, sa banque est liquidée et "Moumen" se réfugie à Londres. Le procès de la faillite de sa banque - où des milliers d'épargnants ont perdu leurs avoirs - a commencé le lundi 8 janvier en son absence et celle de plusieurs protagonistes.
Il y a deux ans, Akram Belkaïd, journaliste à La Tribune, publiait aux Editions du Seuil, un ouvrage intitulé "Un regard calme sur l'Algérie". L'un des chapitres était consacré à l'affaire Khalifa. Nous en publions, avec l'accord de l'auteur, les principaux extraits.
Retour sur l'affaire Khalifa
(Extrait de l'ouvrage d'Akram Belkaïd : "Un regard calme sur l'Algérie", Editions du Seuil, février 2005).
"La jeunesse dorée s'amuse
"How can we dance when our earth is turning ?...
...How do we sleep while our beds are burning !"
Août 1992. Le riff lourd des Midnight Oil s'échappe d'une villa du Club des pins, la station balnéaire de la nomenklatura, à l'ouest d'Alger. La tchitchi s'amuse et festoie. N., un membre de la jeunesse dorée algéroise - bac moins cinq mais "beaucoup flouss" -, régale, car la police vient de retrouver sa berline allemande, volée quelques jours plus tôt. Trois méchouis d'agneaux nourris aux plantes aromatiques des Hauts Plateaux sont déchirés à pleines griffes. Sur de petites tables à tréteaux disposées aux quatre coins de la pelouse roussie par le plomb de l'été, les assoiffés ont droit à de la bière d'importation, du vin rouge de Médéa, du whisky et même de la vodka suédoise.
Les filles rient bruyamment, les jeunes mâles rivalisent d'anecdotes.
On parle un mélange de darja [arabe algérien] et de français. On évoque avec nostalgie d'autres soirées tout aussi arrosées, comme ce fameux réveillon du nouvel an où le fils de tel ministre a sorti son "gueflin" pour mettre un peu plus d'ambiance. On épilogue sans fin sur la ligne de la dernière Porsche ou le cuir de la nouvelle Golf. Le "tchitchouite" aime parler de sa voiture. Il est persuadé que c'est la meilleure manière d' impressionner sa belle, laquelle fait mine de frémir lorsque lui et ses comparses se lancent défi sur défi en se promettant que le retour sur Alger au petit matin sera le prétexte à une course-poursuite le long des lacets boisés du domaine Bouchaoui. La "tchiheu" se sent bien car l'été et les plaisirs du bronzage à la Crique, la portion la plus courue de la plage, sont loin d'être terminés.
Quelques heures plus tôt, un attentat à l'explosif, le premier du genre depuis l'indépendance, a fait huit morts et plus d'une centaine de blessés à l'aéroport Houari Boumediene d'Alger. Deux mois après l'assassinat du président Mohamed Boudiaf, c'est un nouveau signe que le pays est entré dans la nuit. La soirée n'a pas été annulée. La tchitchi n'a que faire de cette Algérie qui commence à souffrir dans sa chair, même si quelques invités sont bien déterminés à se saouler, réalisant sans peut-être vouloir se l'avouer, la gravité de la situation.
Parmi les fêtards, un jeune homme au visage rond se tient un peu en retrait. Ce n'est pas vraiment un tchitchouite, du moins il ne fait pas partie des figures les plus connues de ce cercle très fermé, haï et jalousé par une grosse partie de la jeunesse algérienne désoeuvrée. En fait, nombre d'invités ne le connaissent pas. D'autres, l'appellent, non sans mépris, "le Pharmacien", ce qui n'est pas faux puisque Rafik Khalifa - qui n'est pas encore devenu le Moumen adulé par la bonne société algéroise - a repris l'officine de son père, un ancien ministre de Ben Bella et surtout un ancien du Ministère de l'Armement et des Liaisons générales (MALG), l'ancêtre de la Sécurité militaire.
Seuls ses proches savent que ce jeune homme à l'apparence timide s'est lancé dans les affaires et qu'il tisse patiemment sa toile en choisissant ses associés et en faisant une cour pressante à ses futurs protecteurs - les seconds étant souvent les pères des premiers. Ceux qui, ce soir-là, se moquent ouvertement de lui, et plus encore de l'ami qui l'accompagne, un chaâbi - un gars du peuple -, qui deviendra par la suite, pour le meilleur puis le pire, son bras droit, n'imaginent pas un instant qu'ils ont devant eux un aventurier qui va bâtir en moins de six ans le premier groupe privé du pays - qui possédera une banque, une compagnie aérienne et de multiples autres sociétés. Un homme qui va incarner pendant quelques années un bien sulfureux rêve algérien avant que la faillite de son groupe ne provoque le plus important scandale politico-financier de l'Algérie indépendante, avec son cortège de petits épargnants ruinés, d'entreprises publiques grugées, d'employés licenciés et de personnalités politiques éclaboussées.
De la majorité des coqs oisifs de la tchitchi algéroise qui, au début d'années 1990, dépensaient l'argent de papa, - et pour certains l'argent de l'Etat pris par papa -, Moumen "le millionnaire" a rapidement fait par la suite ses employés, ses hommes de main et même ses coursiers-larbins. Ils l'ont servi, admiré, parfois même vénéré. Il a pris leur conscience et plus encore, pour certains, leur honneur et leur dignité ; sans oublier, bien entendu, le coeur bien intéressé des jeunes filles, habillées à la dernière mode de Paris, qui, en cette soirée où les gravats de l'aéroport d'Alger fumaient encore, n'avaient aucun regard pour lui.
Retour sur le scandale Khalifa
La fulgurante ascension de Khalifa puis sa chute toute aussi rapide mais surtout brutale demeurent largement inexpliquées. Il n'est pas sûr que cette saga bien particulière révèle un jour tous ses secrets même si plusieurs de mes confrères enquêtent pour tenter de comprendre, au-delà des théories et des rumeurs les plus fantaisistes, comment un "pharmacien" a pu créer une banque et une compagnie aérienne dans un pays, certes en "mutation" vers l'économie de marché, mais où des milliers d'entrepreneurs ont été forcés d'abandonner leurs projets, écoeurés par la bureaucratie, les tentatives de racket ou tout simplement par l'impossibilité d'obtenir le moindre financement bancaire, faute de piston et de protections solides.
C'est en ayant conscience du gâchis et de l'énorme déperdition de talents que l'on peut appréhender l'aspect ahurissant de la "réussite" de Khalifa. En Algérie, pays miné par les pénuries, les idées d'affaires ne manquaient pas. Plusieurs de mes camarades diplômés de l'Enita avaient des projets solides en matière de création d'entreprise - et donc d'emplois. La plupart n'ont jamais réussi à faire entendre leur voix et encore moins à être reçus par un banquier. D'autres, écoeurés par les taux usuriers que voulaient leur imposer les banques, ont préféré renoncer, acceptant de végéter dans des entreprises publiques avant de partir offrir leur savoir et leur créativité à des entreprises occidentales.
Il ne faut pas croire non plus que les pistonnés étaient mieux lotis. Même après l'ouverture de 1988, un entrepreneur fortuné, protégé par un général voire soutenu par un grand groupe étranger mettait, dans le meilleur des cas, des années à finaliser le moindre projet de business, à l'exception notable de la restauration, créneau rentable et facile dans lequel se sont engouffrés des centaines "d'hommes d'affaires". Si le projet concernait le secteur industriel, il n'était pas rare que ses promoteurs soient inquiétés par une kyrielle d'administrations, sans oublier la justice et les services secrets, au nom de la protection des monopoles publics et de la sacro-sainte gestion socialiste des entreprises.
On comprend alors combien a pu paraître étonnante, voire suspecte, la réussite du groupe de Rafik Khalifa, qui reposait tout de même sur deux activités - la banque et le transport aérien - dont il était impensable, jusqu'au début des années 1990, qu'elles puissent être permises un jour à un opérateur privé.
Au-delà de l'incontournable question sur les moyens financiers de Khalifa, il faut donc d'abord constater que la naissance de son "empire" s'est jouée de trente années de dogme socialiste qui ont fait que les mentalités de l'administration et du personnel politique ont toujours été suspicieuses à l'égard d'un secteur privé longtemps qualifié, y compris dans les textes officiels et pas simplement dans les éditoriaux du quotidien El-Moudjahid, de "parasite".
L'absurdité de la thèse du blanchiment
Cela étant précisé, il est évident que c'est la question de l'origine des fonds de Khalifa qui concentre le principal des interrogations. Dans l'Algérie de Chadli, un pharmacien, fils d'un ancien ministre, faisait logiquement partie des milieux aisés, mais pas au point de disposer de la mise de départ nécessaire pour élaborer le plan de financement d'une banque et d'une compagnie aérienne aux appareils flambants neufs. Où donc le pharmacien a-t-il trouvé ses premiers milliers de dollars qui lui ont permis de devenir millionnaire ?
Dès le début de son aventure, avant même que la presse occidentale ne commence à s'intéresser à lui, a circulé la thèse d'un blanchiment d'argent organisé par les grandes têtes de la nomenklatura algérienne. Une thèse qui faisait de Khalifa un vulgaire homme de paille dont le culot et l'ambition auraient servis à donner une respectabilité à l'argent de la corruption, des pots-de-vin et des détournements.
Cette thèse, disons-le sans hésitation, est stupide car elle ne tient guère compte de la mentalité des hommes du pouvoir Tout comme est fantaisiste la thèse qui veut qu'un pseudo trésor de guerre du FLN, lequel aurait été détourné par le père de Khalifa, ait pu servir à financer son groupe.. Quand l'un d'entre eux avance un dollar, il exige toujours de récupérer au moins sa mise. Comment peut-on imaginer que ces hommes, qui ont volé, qui ont parfois tué ou fait tuer, et qui ont placé leur argent à Genève, à Londres ou aux îles Caïman, acceptent de voir leurs dollars jetés par les fenêtres, pour payer, à l'occasion d'un dîner de gala, le déplacement à Alger d'acteurs et d'actrices français âpres au gain ou pour financer à fonds perdus l'organisation d'une fête sur les hauteurs de Cannes où toute la jet-set parisienne était présent, tous frais payés ? Comment auraient-ils pu accepter de mettre de l'argent dans des affaires dont n'importe quel élève de première année dans un institut de comptabilité aurait immédiatement détecté le manque évident de rentabilité ?
Surtout, la nécessité de blanchir de l'argent ne se comprend, et ne se justifie pour les principaux intéressés, que s'il existe un Etat de droit et une justice indépendante, ce qui est loin d'être le cas en Algérie. Pourquoi la mafia politico-financière algérienne se sentirait-elle obligée de faire passer son argent sale via une lessiveuse quand rien ne la menace et qu'aucune juridiction, nationale ou même internationale, n'est capable de lui demander des comptes ? Depuis des décennies, en France comme dans les places off-shore, l'argent de la corruption en Algérie dort tranquillement, à l'abri de toute investigation et l'unique personne à avoir tenté de dresser l'inventaire des biens à l'étranger des principaux dirigeants algériens est morte assassinée à Annaba un matin de juin 1992.
Mohammed Boudiaf - c'est de lui dont il s'agit - s'est attaqué, et l'a payé de sa vie, au tabou des tabous : l'identification des détenteurs des quelques 20 milliards de dollars - évaluation minimaliste - volés, d'une façon ou une autre au peuple algérien Le défunt président était parti de l'hypothèse, vraie en partie, que le fisc français détenait nécessairement la liste des personnalités algériennes ayant reçu des pots-de-vin de la part de groupes français. Partant de là, il avait dépêché en France deux enquêteurs qui ont été finalement assassinés, à en croire la version officielle, par des terroristes islamistes.. Depuis sa disparition, aucune personnalité politique n'a pris le risque de remettre au goût du jour un slogan pourtant fort célèbre dans les années 1980, notamment dans la mouvance islamiste : "D'où tiens-tu cela ?" Il ne faut pas rêver ni être naïf : en Algérie, blanchir de l'argent mal acquis n'est absolument pas une urgence pour ses détenteurs.
Une gigantesque opération de cavalerie
Ecarter la thèse du blanchiment ne signifie pas que Khalifa n'a pas bénéficié de soutiens normalement indus dans n'importe quel Etat de droit. Toute son ascension n'a pu se faire sans protecteurs, mais leur principale intervention n'a pas été financière. A chacune des étapes de la construction de son groupe, Khalifa a surtout bénéficié de passe-droits, comme en témoigne la rapidité avec laquelle lui a été délivré un agrément pour sa compagnie aérienne alors que tant d'autres demandes antérieures dormaient dans des tiroirs de bureaux poussiéreux. En s'entourant de fils à papa, en faisant une cour assidue à des décideurs de premier rang, Khalifa s'est doté de moyens d'influence efficaces pour arriver à ses fins.
Quant au financement, il a vraisemblablement résulté de plusieurs apports : celui de l'activité pharmaceutique de Khalifa, mais surtout et avant tout des prêts bancaires obtenus, là encore, grâce à de puissantes interventions auprès d'établissements financiers, rappelons-le, tous étatiques. Les Algériens ont une formule toute prête : ils appellent cela un "financement par coup de fil" ou encore "par injonction". L'argent appelant l'argent, surtout après la création de la banque et avec la possibilité - légale - de transformer en devises fortes les dépôts en dinars, le groupe Khalifa a pu se développer en travaillant avec l'argent des autres, ce qui est normal pour une banque, tout en oubliant, ce qui l'est moins, qu'il s'agissait dans le même temps de l'argent des déposants.
En somme, le miracle Khalifa n'est rien d'autre qu'une immense opération de cavalerie, l'argent de la banque servant à financer les autres activités du groupe, au mépris de toute règle prudentielle et surtout, à en croire des fonctionnaires de la Banque d'Algérie, dans un désordre comptable indescriptible,. Un système de pyramides d'autant plus faciles à construire que les déposants, séduits par des taux de rémunération alléchants proposés par la Khalifa Bank, se sont précipités pour effectuer leurs dépôts, abandonnant leur bon vieux livret de Caisse d'épargne et ses intérêts dérisoires.
"L'injonction" émise par les protecteurs de Khalifa a aussi servi à alimenter d'une autre manière les caisses de sa banque puisque de nombreuses entreprises publiques, et non des moindres, ont reçu l'ordre d'y domicilier une partie de leurs trésoreries. Cela a été aussi le cas pour les organismes sociaux, un peu comme si la Caisse d'assurance-maladie française avait confié ses cotisations à Enron ou Parmalat... Et tout cet argent, transformé en euros ou en dollars, a servi à financer des lignes aériennes déficitaires, des sponsorings inutiles, des acquisitions de sociétés occidentales en quasi-faillite ou encore des opérations de "prestige", pour le compte de Khalifa ou celui de l'Etat algérien, en mal de reconnaissance internationale.
Il ne faut pas non plus oublier les manifestations "culturelles" où le clinquant le disputait au mauvais goût. Cet argent a aussi rémunéré une foultitude de collaborateurs, d'amis, de solliciteurs en tous genres. Khalifa n'a certes pas blanchi l'argent de la mafia-politico financière mais, au travers de la construction chaotique de son échafaudage brinqueballant, il a vraisemblablement permis à plusieurs de ses membres de s'enrichir grâce à de l'argent public ou à celui des épargnants.
Une affaire d'incompétence générale
Pour expliquer sa chute, Khalifa s'en est pris à Abdelaziz Bouteflika et à son entourage, bien que des proches du président aient longtemps été des collaborateurs directs du millionnaire. Il est vraisemblable que le refus de ce dernier d'offrir un soutien sans équivoque à Bouteflika lors des grandes manoeuvres qui ont précédé les présidentielles de 2004 lui a coûté cher, même si les inquiétudes des capitales européennes, à commencer par Paris, sur les relations du groupe Khalifa avec plusieurs milieux d'affaires interlopes du Proche-Orient et d'Amérique latine ont poussé les autorités algériennes à en finir avec un groupe de toutes les façons moribond.
Il reste que le vrai intérêt, à mon sens, dans cette affaire n'est pas de savoir pourquoi le pouvoir a décidé de précipiter la chute du millionnaire en paralysant sa banque et en le forçant, lui et ses collaborateurs à s'exiler. Il faut d'abord se demander pourquoi le navire Moumen a pris l'eau aussi vite, et la seule explication qui s'impose à ce sujet est l'incompétence. Avec des moyens financiers considérables, un soutien politique sans faille jusqu'au moins en 2002, la sympathie des milieux d'affaires occidentaux, Khalifa avait la possibilité de bâtir un groupe puissant et crédible, comparable à ceux des oligarques russes. C'est cette chance qu'il n'a pas su saisir. En s'entourant, le plus souvent, de personnes incapables d'appréhender le b-a-ba de la gestion d'une entreprise, et à plus forte raison d'un groupe international, Moumen a d'autant plus préparé sa déchéance que la folie des grandeurs, la soif de reconnaissance et une attirance malheureuse pour le monde des paillettes ont rapidement eu raison de sa lucidité.
Les oligarques russes ne sont pas des modèles de probité ni même de bon goût. Eux aussi ont bâti leurs fortunes grâce à des "injonctions" politiques - celles du clan Eltsine - mais ils ont eu très vite l'intelligence de comprendre qu'il leur fallait structurer leurs sociétés, les normaliser en faisant appel à de l'expertise confirmée - y compris américaine Malgré tous ces efforts, certains des oligarques n'ont pas réussi à échapper à la brutale reprise en main des richesses pétrolières décidée par Vladimir Poutine comme en témoignent les mésaventures du groupe pétrolier Ioukos dont le principal dirigeant, Mikhaïl Khodorkovski est passé du jour au lendemain du statut du plus puissant patron de Russie à celui d'un vulgaire prisonnier de droit commun.. Khalifa, quant à lui, a préféré se reposer sur des gens qui, en déplacement en Occident, faisaient mine de lire le Financial Times ou le Wall Street Journal, mais qui en réalité étaient, pour la plupart, incapables de faire la différence entre une action et une obligation. La vérité, implacable, est que l'on ne gère pas un groupe international, fut-il bâti avec facilité, comme on revend des cigarettes à la sauvette.
Mais l'incompétence dans cette triste affaire concerne aussi les autorités algériennes. Dès sa création, la Khalifa Bank a posé des problèmes, et les mises en garde de plusieurs fonctionnaires ont été ignorées par les autorités politiques, à commencer par la Présidence. Dans ce scandale, toutes les autorités de régulation et de supervision ont aussi failli à leur mission, et leur capacité à s'adapter à la mutation de l'économie algérienne reste posée. Le pouvoir a bien entendu sa responsabilité. D'abord, ses soutiens "injonctifs" ont empêché toute véritable enquête de ces autorités de régulations. Ensuite, il a pêché par désinvolture dès lors qu'il est devenu évident que les jours du groupe Khalifa étaient comptés. Il est symptomatique de noter que l'organisme public destiné à rembourser les déposants en cas de faillite bancaire n'a été créé que quelques jours avant la banqueroute de la Khalifa Bank alors qu'elle était annoncée depuis au moins six mois !
La fascination pour le passe-droit : clé de l'ascension de Khalifa
L'affaire Khalifa ne doit pas non plus se résumer à un simple scandale politico-financier. La naissance de ce groupe, ses errements et sa chute controversée sont aussi le reflet d'une Algérie gagnée par le cynisme, où la morale et les repères éthiques les plus simples ont disparu, balayés par la crise économique et la peur du lendemain. Une Algérie dominée par les voyous devenus soudain des exemples à suivre notamment pour une jeunesse déboussolée.
Dans l'océan de médiocrité qui entourait le millionnaire, il y avait tout de même quelques personnes compétentes dont la trajectoire laisse pantois. Ainsi, à la lecture de la liste de ses proches collaborateurs, dont plusieurs sont désormais réfugiés en France car en délicatesse avec la justice algérienne, j'ai été surpris de trouver le nom de jeunes personnes éduquées, fils et filles "de bonne famille", pour reprendre une expression typiquement algéroise. Comment ces diplômés, qui avaient toutes les chances de leur côté en matière de carrière professionnelle - en Algérie comme ailleurs -, ont-ils pu se laisser embarquer dans cette aventure nauséabonde ?
En admettant que leur bonne foi soit réelle au départ, pourquoi n'ont-ils pas quitté le navire dès les premières alertes ? L'un de mes anciens camarades, perdu de vue depuis le début des années 1990, a été l'un d'eux. Brillant, nationaliste et issu d'une famille très aisée, il s'est retrouvé parmi les "Khalifa Boys". Pourquoi ? Je n'en sais rien. Des amis communs me parlent de l'inévitable fascination que Khalifa a engendrée au sein de la jeunesse algéroise. L'ambition, la puissance - au demeurant éphémère - procurée par l'argent et surtout la sensation de planer au dessus du lot commun sont des explications plausibles.
L'attraction de ce que je qualifierais de "forces négatives", qu'il s'agisse de millionnaires à la réputation sulfureuse mais aussi de militaires, de miliciens ou d'agents de sécurité imbus de leur pouvoir - en un mot, tout ce qui est susceptible d'exercer un pouvoir, voire une violence, à l'encontre d'autrui -, est l'un des problèmes de la société algérienne. C'est ce que l'on pourrait traduire par le "fantasme de la carte".
Plusieurs récits, mille fois entendus dans de multiples circonstances et dans toutes les versions possibles, illustrent bien cette envie féroce de pouvoir absolu, qui se conjugue paradoxalement avec une exigence romantique de justice totale, voire de revanche. Le scénario est presque toujours le même : un homme - ou une femme - est le témoin d'une injustice, peut-être même la subit-il. Face aux "méchant", il sort sa carte de policier ou, encore mieux, d'agent de la Sécurité militaire : le "méchant" est confondu. La justice triomphe.
C'est ce qui est par exemple arrivé à une amie, militaire, qui, alors qu'elle était au volant de sa voiture - elle ne portait pas d'uniforme -, fut arrêtée à un barrage à l'entrée d'Alger. Avant même de lui demander ses papiers, un gendarme égréna un chapelet d'obscénités, puis il se figea devant la carte d'officier que mon amie lui colla sous le nez. Racontée avec force détails, cette histoire fera du bien à n'importe quel algérien, islamiste compris.
Mais la carte, c'est d'abord le pouvoir, et il arrive qu'elle serve à commettre des injustices, du moins à violer la loi. A 20 ans, avec ma carte d'élève-officier, - qui, légalement, ne me donnait aucun avantage -, j'ai ainsi pu "griller des chaînes", pénétrer dans des ministères où le planton s'inclinait devant le liseré vert et rouge, bref, passer outre la majorité des obstacles qui se dressaient sur le chemin quotidien de mes concitoyens.
A Alger, dans mon quartier, un simple d'esprit se promenait toujours avec, dans la poche de son veston crasseux, une fausse carte de sourti (agent de sûreté) qui, lorsqu'il l'exhibait nous obligeait à faire mine d'être effrayés et de le supplier de ne pas nous embarquer...
L'idée que la réussite signifie que l'on peut bénéficier de passe-droits par rapport à la majorité est profondément ancrée dans la société algérienne. Les gens qui travaillent à l'aéroport d'Alger ont longtemps utilisé leur badge pour accompagner parents et amis jusqu'à la salle d'embarquement, voire jusqu'au pied de la passerelle. L'attentat d'août 1992, le détournement de l'Airbus d'Air France en décembre 1994 ont forcé les autorités à être plus vigilantes et intransigeantes, mais, au moindre relâchement, les mauvaises habitudes reprennent très vite. Se sentir, au moins une fois, mieux servi que les autres, est peut-être une manière de mieux accepter la dureté d'être algérien. On comprendra alors pourquoi rejoindre le groupe Khalifa, du moins faire partie de l'entourage du millionnaire, a pu paraître si important à de jeunes élites algériennes.
Le temps de la curée
Je pense aussi aux parents des Khalifa Boys. Parmi ces derniers, de véritables commis de l'Etat, ont servi toute leur vie le pays sans jamais se laisser prendre dans les rets de la mafia politico-financière. Le fait qu'ils aient fermé les yeux - peut-être même ont-ils encouragé leur progéniture à s'acoquiner avec Khalifa - est la meilleure preuve des dégâts infligés à la société algérienne, y compris au sein de ses élites. La dévastation semée par la guerre civile et la forte certitude selon laquelle l'avenir de l'Algérie ne peut qu'être pire poussent des pères et des mères à faire fi de leurs réticences et à accepter de leurs enfants des actes et des décisions qu'ils n'auraient jamais toléré auparavant. Khalifa a cassé les dernières digues, de la soutra, la retenue.
Sa "réussite", l'étalage insolent de sa richesse, ont généralisé le "Pourquoi pas moi ?" ou encore le "Ouèche fiha ? Dir kifou !" (Et alors ? Fais comme lui !), et balayé tout scrupule à l'idée de verser des pots-de-vin, encourager le dépeçage d'entreprises publiques ou se servir largement dans la caisse "pour sortir une bonne fois pour toute du sous-développement". Deux expressions résument bien cette frénésie à s'en sortir par tous les moyens : "tag ala man tag" (pas de quartiers) et "sans pitié". Et la chute de Khalifa n'a rien réglé car, en fait, ce scandale n'est qu'un arbre qui a caché une forêt qui ne cesse de s'étendre.
Ayant compris que rien de bon ne sortirait d'une trop grande médiatisation - surtout à l'étranger -, une vingtaine de nouveaux millionnaires installent tranquillement leurs filets. Ils ont envié Khalifa. Ils entendent désormais faire mieux que lui et refusent avec force que l'Etat algérien ou les syndicats se mettent sur leur route. L'autre grande violence du bazar évoqué dans le chapitre 9, c'est en effet celle de l'Algérie post-socialiste, à qui le FMI rend régulièrement hommage en appelant le pouvoir à aller encore plus loin dans la privatisation. Une Algérie où le contrat social a été déchiré en mille morceaux emportés par le vent du laisser-faire. Une Algérie "d'entrepreneurs" sans foi ni loi, qui ne déclarent pas leurs employés et qui n'hésitent pas à corrompre tous ceux qui se dressent devant eux, arrosant de pots-de-vin tous leurs interlocuteurs, semant une corruption dépassant en ampleur celle, pourtant féroce, des années les plus noires de la présidence de Chadli Bendjedid.
Dans le business algérien, le maître mot, celui que les expatriés occidentaux qui se réinstallent dans le pays apprennent en premier, c'est "tchippa" - pot-de-vin. Pas de contrat sans tchippa, ni de terrain ni de quelconque autorisation administrative. Dans le passé, la "juste" rétribution de celui qui savait se montrer compréhensif s'appellait el-kahwa, le café. La tchippa, elle, doit être importante, et petit à petit, à l'image du bakchich égyptien, elle gangrène toute la société. "Je suis devenu tchippiste", me dit un ancien de l'Enita pour me résumer son métier de délégué commercial pour un grand groupe international. "J'ouvre les portes en offrant des cadeaux, des dollars ou des euros. Quand quelqu'un résiste, je monte plus haut. La fois d'après, s'il y en a une, il ne résiste plus."
Mais le bazar, c'est aussi l'argent facile, la vulgarité, l'arrivisme. Ce sont les nouveaux riches aux voitures de luxe qui roulent déjà à Alger alors qu'elles n'existent pas encore en France. Ce sont les beggars - littéralement, les vachers-, qui flambent en une soirée dans un restaurant de la capitale, l'équivalent d'un an de salaire d'un smicard. C'est une jeunesse qui rêve de Dubaï, de Londres ou de l'avenue Foch à Paris. A nombre d'entre eux, l'Algérie n'a offert que violences et absence de justice. Alors, à leur tour, ils violentent la société et se lancent avec avidité dans la curée.
Une classe politique et une presse éclaboussées par le scandale
Le personnel politique algérien est loin de sortir indemne du scandale Khalifa. Dans sa grande majorité, il a été incapable de prendre la mesure des nombreuses interrogations qui entouraient l'émergence du groupe Khalifa. Rien dans cette affaire ne l'a étonné, et son incapacité à comprendre rapidement le caractère factice de cette réussite en dit long sur l'absence de culture économique et financière évoquée dans le chapitre sur le bazar.
En 2002, des élus, sénateurs et députés, ont même octroyé à Khalifa le titre de "manager de l'année" ! Il est vrai que ce dernier a su être généreux avec tous ceux qui le sollicitaient, parfois simplement pour pallier le manque de moyens de leurs administrations. Ce fut le cas de Khalida Messaoudi, militante anti-islamiste très connue en France, qui, en tant que ministre de la Culture, durant la première présidence de Bouteflika, fut obligée de se fendre d'un courrier officiel suppliant le millionnaire d'accepter de payer le cachet - en dollars - d'un chanteur égyptien qui exigeait ses sous avant de se produire à Alger pour le quarantième de l'anniversaire de l'indépendance. Un ministre obligé de quémander de l'argent issu principalement de dépôts d'organismes publics ! Voilà l'exemple même de la confusion des genres qui a entouré cette affaire.
Enfin - et j'ai conscience de remuer le couteau dans la plaie -, la presse algérienne indépendante, si brave et méritante soit-elle, a tout autant pêché par indulgence, sinon par intérêt, vis-à-vis de Khalifa. Avec ses largesses (publicité, voyages de presse, recrutement de parents), le groupe a su se concilier la majorité des titres, qui ont longtemps attendu avant d'émettre la moindre réserve, certains le défendant même avec passion lorsque les premiers articles critiques ont commencé à être publiés en France. Mais le pire, c'est que les plus laudateurs ont été, comme c'est souvent le cas, les plus féroces dans le déchaînement médiatique qui a suivi la chute du groupe. On ne brûle que ce que l'on a aimé..."
latribune.fr
mercredi, février 07, 2007
Vitrine
Par Jacques Almaric, Libération, 30 octobre 2002
Si Rafik Khalifa n'était qu'un play-boy de la jet-set, surtout avide de figurer dans les pages "people" des organes spécialisés en compagnie de quelques stars du cinéma ou du mannequinariat, nous en aurions bien volontiers souri. Mais il clair, depuis quelques mois, que ce fils de la nomenklatura historique algérienne n'est pas que cela. Restait à savoir s'il est réellement ce qu'il prétend être : un jeune entrepreneur dynamique, généreux, particulièrement doué pour les affaires, qui a su bâtir grâce aux seuls revenus d'une modeste pharmacie et à son savoir-faire un imposant empire dont les principaux fleurons de la couronne sont constitués par une compagnie aérienne, une banque, une entreprise de location de voitures et une chaîne de télévision. La réalité, en fait, n'a rien à voir avec cette image d'Epinal : le fameux empire est bâti sur du sable, et les murs de la forteresse sont en carton-pâte. L'édifice, plus que branlant, ne tient debout que grâce à la volonté de certains acteurs déterminants du système algérien qui, bien sûr, restent soigneusement dans l'ombre.
Est-ce à dire que le rôle principal attribué à Rafik Khalifa est de recycler en la blanchissant une partie de la colossale "rente" pétrolière et gazière que se partagent en toute illégalité les vrais maîtres de l'Algérie ? Même pas, sinon de manière marginale. Voilà près de quarante ans que ce processus d'appauvrissement de l'Algérie fonctionne, et on ne voit pas pourquoi ceux qui s'y abreuvent auraient soudain besoin d'un jeune homme de 36 ans, bien trop hâbleur et bien trop "visible" pour poursuivre leurs détournements. Ce dont ils ont besoin, en revanche, et qu'ils ne savent pas faire, c'est de masquer leur vraie nature sous les oripeaux de la fausse modernité et de l'ouverture. Car tout régime, surtout s'il appartient à la catégorie "paramilitaire", a besoin de donner le change. Ainsi le veut la période de globalisation accélérée que nous vivons. C'est une ardente obligation pour des raisons bien sûr d'élémentaire diplomatie mais aussi pour présenter un visage avenant aux investisseurs étrangers potentiels. Tel est, à n'en pas douter, le rôle attribué à Rafik Khalifa. Gageons que quelques clones sont déjà prêts à le suppléer sinon à lui succéder.
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"Libération" a enquêté sur la réussite éclair de celui qui règne sur le premier groupe privé d'Algérie.
La face cachée de l'"empire" Khalifa
Le groupe, dont les pertes sont colossales, viserait surtout à moderniser l'image du régime d'Alger.
Par Florence AUBENAS et Jose GARÇON et Renaud LECADRE et Cédric MATHIOT
Depuis plusieurs semaines, Rafik Abdelmoumène Khalifa défie la chronique en France. En moins de cinq ans, cet homme d'affaires algérien de 36 ans a construit ce qu'il aime à appeler "le premier empire privé d'Algérie". Une success story qu'il jure "partie de rien" et affiche aujourd'hui banque, compagnie aérienne, sponsoring avec son nom sur les maillots de l'OM, virées à Alger avec les Depardieu et Deneuve, et bientôt une chaîne de télévision pour laquelle son groupe distribue déjà des antennes paraboliques en kit dans les quartiers populaires de la capitale algérienne...Les démêlés de son "ami" Gérard Depardieu avec le député vert Noël Mamère sur son ascension fulgurante et l'origine de sa fortune ont toutefois quelque peu écorné l'image de celui qu'Alger présente comme l'icône d'une nouvelle génération d'entrepreneurs qui veulent réussir. Et qui réussissent. Mais qui n'aiment pas répondre aux enquêtes des journalistes et notamment à ceux de Libération.Qui se cache en effet derrière cet "empire" qui, curieusement, perd beaucoup plus d'argent qu'il en gagne ? Pour la rue algérienne, la réponse ne fait pas de doute et entraîne dans les ténèbres du pouvoir militaire : là où se "blanchissent" les milliards de dollars de la rente pétrolière et gazière.Si Rafik Khalifa semble surtout être lié au "clan" du président Abdelaziz Bouteflika, la réalité pourrait être plus proche d'une tentative de redorer le blason d'un régime militaire mis à mal par dix ans de "sale guerre". Quitte à utiliser aussi le groupe pour quelques opérations financières rentables liées aux futures privatisations en Algérie.Ce serait un groupe "immense, puissant, comme celui de Bill Gates", avec une compagnie d'aviation, une banque, une chaîne de télé, explique à Washington un diplomate algérien. A sa tête, il y aurait "un type formidable, un jeune qui fait rêver, qui prouve qu'en Algérie tout est possible pour qui veut réussir. Un peu comme Bernard Tapie", raconte en France un homme d'affaires d'Oran. Ce serait beau comme le Festival de Cannes, avec des stars partout, des Patrick Bruel, des Gérard Depardieu ou des Claudia Schiffer. Ce serait enthousiasmant comme un Mondial de football, avec le sponsoring de grands clubs, comme l'Olympique de Marseille. Ce serait féerique comme Disneyland, avec une ville, Sidi Abdallah, surgie de la pierre et des broussailles à 130 kilomètres d'Alger et qui deviendrait, d'ici à 2005, la nouvelle capitale. Ce serait "l'icône de l'Algérie nouvelle", ouverte sur le monde. Et comme par magie, dans ce pays à genoux après dix ans de guerre et près de 200 000 morts, où plus rien ne fonctionne pas même le réseau d'eau potable, là où trouver une place d'avion nécessite des relations de ministre, "un jeune entrepreneur de 36 ans, Rafik Abdelmoumène Khalifa, a réussi à créer en moins de dix ans le premier empire privé diversifié du pays", explique son dossier de presse. Rideau.Maire de Bègles, le député vert Noël Mamère a été le premier à écorner publiquement le conte de fées, le 27 septembre, refusant d'assister "pour des raisons politiques" à un match de l'équipe de rugby de Bègles, dont Khalifa vient de devenir un des sponsors. "Il est allié des généraux algériens avec lesquels il a fait sa fortune, allié de ce pouvoir algérien qui contribue à la barbarie, qui assassine et torture". Il a demandé une enquête parlementaire sur le groupe Khalifa.Selon une note confidentielle du gouvernement français, rédigée depuis que le groupe cherche à s'implanter dans l'Hexagone, ce serait surtout le montant des pertes de l'"empire" Khalifa qui serait exceptionnel : 500 millions d'euros par an. Chiffre toutefois "invérifiable", précise le texte. A la DGSE, les services de renseignements extérieurs, même étonnement. "Les financements et passe-droits dont profite Khalifa pour asseoir sa stratégie de croissance, alors même que les avis répétés d'experts du transport aérien lui prédisent une faillite prochaine, laissent perplexes. (...). Le maintien en vie et même la bonne santé apparente du groupe ne peuvent donc s'expliquer que par un soutien financier extérieur et/ou par des activités autres que celles officiellement mentionnées. (...). Le groupe ne compte que sept actionnaires, tous issus de la famille Khalifa. Ces derniers ne disposent cependant pas de la réalité du pouvoir et ne servent que de prête-noms", détaille un document interne."Nous sommes arrivés au moment où sonne le douzième coup de minuit, estime un policier des renseignements généraux (RG). Juste avant de savoir si le carrosse va se transformer en citrouille."
1 Khalifa Airways "La Compagnie des fils et des filles de..."Dès le départ, le carrosse a pourtant étrange allure. En 1999, un an après sa création en Algérie, Khalifa Airways débarque en France, sollicitant un agrément pour desservir l'aéroport Charles-de-Gaulle auprès du ministère français des Transports. Tous ceux qui approchent le groupe racontent le même choc. "Quand quelqu'un se présente pour une société avec une telle surface, on s'attend à une équipe costaud", raconte ce consultant français à qui Khalifa demande ses services. Rendez-vous dans l'un des restaurants les plus chers de Paris. "Ils sont arrivés à six. Le plus âgé n'avait pas 30 ans. Aucun n'a parlé affaires. La seule chose qui les intéressait, c'était un carnet d'adresses, décrocher des appuis. Une question revenait sans cesse : "Et au ministère de l'Intérieur ou à la présidence, vous avez une touche ?" Ils m'ont raconté avoir payé un intermédiaire 50 000 francs pour un rendez-vous avec Gayssot (le ministre des Transports de l'époque, ndlr). J'étais soufflé par leur méconnaissance totale de l'aérien : quand on démarche pour un agrément, on obtient de toute façon un rendez-vous."Plusieurs fournisseurs français se lancent dans l'aventure. Tout fonctionne dans l'urgence, sans facture, sans bon de commande. L'un d'eux relève : "Ces jeunes gens semblent savoir mieux dépenser de l'argent qu'en gagner." Des hôtesses jusqu'aux directeurs, toutes les grandes familles algériennes ont casé là leur descendance. Du coup, on surnomme Khalifa "la Compagnie des fils et des filles de...". Mais dès qu'il s'agit de se faire payer, plus personne. Au bord de la faillite, un créditeur proteste. "Je vais appeler "Moumène" (le surnom du patron, ndlr)", lui répond un des jeunes gens. Il revient quelques jours plus tard. "Vous me devez 2 000 francs pour le coup de fil."Au-delà de ce premier cercle, ceux du second "se reconnaissent au même manteau de cachemire", poursuit un autre. "Des cadres compétents mais le turn-over est vertigineux." Un chef de service algérien relève : "Dans cette entreprise, aucune hiérarchie n'est possible. Dès qu'on signale un manquement, on est cassé."En 1998, à bord d'un jet privé pour Alger, un entrepreneur français se souvient d'avoir remarqué "un jeune type, vêtu de la marque GAP du pantalon à la casquette. Pas mondain, il ne s'exprimait pas facilement". Il lui est présenté : "le président" Rafik Abdelmoumène Khalifa. A l'époque, son passeport, plein de visas des pays du Golfe et du Maroc, le domicilie à Vitrolles (Var).Quand on arrive à l'aéroport Houari-Boumediene, à Alger, "le plus frappant, ce sont les avions Khalifa "bétonnés", c'est-à-dire rangés au sol. Or un long courrier doit voler de quinze à dix-huit heures par jour pour être amorti. Là, ils en sont très loin", explique un spécialiste. Pour les lignes intérieures et européennes, le coefficient moyen de remplissage est inférieur à 65 %, sous le seuil critique des 70 %. Là encore, l'argent fonctionne comme un étrange alliage. Parfois, il semble couler à flots. Plusieurs petits avions de courrier domestique viennent ainsi d'être achetés à Eads. Cash, ce qui n'est pas commun. Parfois, il sert juste de paravent. En 2000, Khalifa claironne une commande de 18 Airbus pour 1,6 milliard d'euros. Mais l'avionneur affirme que, depuis la lettre d'intention, "aucune commande ferme n'a été passée".Un policier français des RG poursuit : "Chaque fois que Khalifa doit fournir des informations sur une de ses sociétés, il montre un contrat de location de bureau, le nom de dix directeurs et des autorisations ou plutôt des demandes d'autorisation. Bref, des dossiers de 3 tonnes mais jamais aucun chiffre. Comme un décor de théâtre."
2 Khalifa Bank Une coquille vide... mais très "protégée"Dans la banque, même fonctionnement. En France, Khalifa Bank n'a pas déposé de demande d'agrément auprès de la Banque de France, se contentant d'ouvrir un "bureau de représentation" à Paris, non soumis à autorisation. Simple structure de liaison, il n'a pas le droit d'exercer une activité bancaire : sa seule obligation est de se déclarer à la tutelle. Ce qui n'a toujours pas été fait. En Algérie, Khalifa Bank revendique 700 000 clients et 74 agences, un record quand la Banque nationale d'Algérie (BNA) n'en compte qu'une centaine. Mais aucun nom d'actionnaire, aucun bilan en cinq ans : "fonctionnement absolument opaque", souligne la DGSE."En Algérie, l'inefficacité économique est remarquablement organisée : l'Etat ne contrôle rien, sauf lorsqu'il s'agit de sanctionner ou de couler quelqu'un. Dans ce cas, le fisc et les lois sont utilisés dans un rôle inquisitorial de nuisance, explique un expert. Notre pays est aussi le meilleur des paradis fiscaux, même si les étrangers l'utilisent peu faute de confiance dans le système. On peut déposer 10 millions sans en déclarer la provenance." Dans ce paysage, Khalifa Bank concède, à la tête du client, des prêts à court terme à des taux exorbitants . Là aussi, "sans les perfusions de la Banque centrale, Khalifa Bank aurait explosé depuis longtemps", poursuit l'économiste, tandis que le rapport de la DGSE avance : "Ce soutien pourrait en expliquer le financement mystérieux."En Algérie, la rue ne parle évidemment que de ça. Mais avec 40 % de chômeurs, qui a les moyens d'être regardant ? Une phrase revient sans cesse : "Peu importe d'où vient l'argent, lui au moins n'oublie pas son pays." Depuis son apparition, le groupe fait figure de loterie nationale. "Quand on le voit arriver, c'est le gros lot. L'espoir fait vivre, non ?", rigole un garagiste. En moyenne, les salaires y sont trois fois plus élevés qu'à Air Algérie ou dans les banques nationales. Le mythe est entretenu avec soin. Quelques opérations ciblées, largement diffusées sur la chaîne publique, le confortent. En juin 2001, l'"empire" offre, "un bus à l'équipe nationale de football, un avion spécial et prospecte à travers son réseau relationnel pour conclure des matchs amicaux", se félicite El-Watan. Dix millions de dinars sont distribués après les inondations de Bab el-Oued, il y a un an. Et pour le prochain ramadan, des restaurants ont été loués pour l'opération "F'tour (repas de rupture du jeûne, ndlr) pour tous"."Il est amusant de voir comment une société aussi endettée et mystérieuse s'échine à se rendre la plus visible possible, note un banquier algérien. Comme si leur première bataille était celle de l'image et des apparences." L'affaire de Khalifa TV (KTV) est, à cet égard, significative (lire ci-dessous).
3 Une famille liée aux militaires "Pour situer le fils, cherchez le père"En Algérie, Khalifa affiche 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires, 200 millions de bénéfices et 12 000 employés. Pourtant, ce fleuron national, "symbole de l'avenir du pays", loue absolument tout, jusqu'à ses bureaux d'Alger. "Comme s'il voulait pouvoir plier boutique du jour au lendemain", note un économiste. Quelle que soit la manière dont on tente d'agencer les pièces du puzzle, il y en a toujours une qui ne colle pas. Et l'éblouissante aventure plonge soudain dans les rouages secrets du pouvoir algérien.Dans sa version officielle, un mot est sans cesse brandi pour éclairer la saga Khalifa : la chance. L'hagiographie du jeune homme, publiée l'an dernier (1), raconte ainsi une succession abracadabrante de miracles qui lui auraient permis de décrocher autorisations bancaires ou aéronautiques là où "d'autres n'ont plus d'ongles à force d'essayer d'entrouvrir la porte d'un puissant", selon les termes d'un cadre algérien.Car la construction de l'empire conduit dans la pénombre des antichambres du pouvoir où l'élite algérienne ne se renouvelle que par cooptation. "Pour situer le fils, cherchez le père." Celui de Rafik s'appelle Laroussi et on pénètre avec lui dans une dimension qui va bien au-delà de la simple réussite financière. Il va lui léguer quelque chose qui, en Algérie, n'a pas de prix : plus qu'un nom, une appartenance.Car Laroussi est l'un des organisateurs de ce qui deviendra, après l'indépendance, la Sécurité militaire (SM), la toute-puissante police politique, ce cercle fermé qui constitue toujours la colonne vertébrale du régime. Pendant la guerre, on le retrouve en effet à Tripoli, en Libye, où est basé le Malg (ministère de l'Armement, des Liaisons générales et des Communications), l'ancêtre des "services" algériens. Il y devient directeur de cabinet d'Abdelhafid Boussouf, le "patron" du Malg, l'un des hommes forts des appareils militaires qui vont présider aux destinées de l'Algérie. A Tripoli, Khalifa père dirige aussi l'Ecole des cadres, d'où sortiront les chefs de la SM, surnommés les "Boussouf's Boys". "La rapide croissance de Khalifa illustre la puissance du réseau constitué par les anciens du Malg", résume la DGSE.Dans les premières lueurs de l'indépendance, à l'été 1962, alors que militaires et politiques se déchirent, Laroussi garantit son avenir. Il choisit son camp : les militaires, emmenant avec lui les meilleurs des "Boussouf's Boys". Après avoir négocié le statut des futures concessions pétrolières, il devient ministre de l'Industrie, puis patron d'Air Algérie. Sa carrière se termine sur deux ans de prison : tentative de coup d'Etat manqué en 1967. A la tête des putschistes: le colonel Tahar Zbiri, qu'on retrouve aujourd'hui "comme un des protecteurs du groupe Khalifa", note la DGSE.Quand Laroussi meurt en 1990, on ne lui connaît pas de fortune. Mais il est vrai que la culture du silence voilait, dans l'Algérie "démocratique, populaire et socialiste", tout ce qui touche aux affaires. Que l'argent ne doive pas s'afficher, ne signifie toutefois pas qu'il soit absent. Officiellement, le père ne laisse en tout cas au fils qu'une pharmacie dans un quartier aisé d'Alger, officine qui va prendre une place considérable dans l'histoire officielle de l'"empire".La fable paraît grosse. D'où vient cet argent, flambé en champagne et jets privés, "distribué" en retentissantes opérations de prestige ou caritatives ? Sans hésiter, la rue répond : "les généraux", ce petit cercle qui détient la réalité du pouvoir. "Nous sommes un peuple des plus pauvres dans un des pays les plus riches, s'amuse un étudiant. Aussi étrange que cela puisse paraître, on se sent presque soulagé de savoir enfin, avec Khalifa, où passent les dollars."
4 Une façade de modernité Une tentative de lifting des circuits de corruptionMais en Algérie, depuis que le pétrole est pétrole, les circuits ne manquent pas pour blanchir la rente de l'or noir et du gaz. "Les généraux possèdent hôtels et immeubles à Paris place des Ternes, avenue Marceau. En Suisse. A Monaco", énumère un des meilleurs économistes algériens. "Une gestion dans la pierre, à la paysanne. Ils disent : "Quand j'ai un peu d'argent, j'achète une brasserie. Quand j'en ai plus, j'en achète deux."" L'idée d'avoir besoin de Khalifa pour recycler la rente fâcherait même les hauts gradés. Face à cette rumeur insistante, l'un d'eux a récemment explosé : "Depuis le temps, on a l'habitude quand même. On n'a pas attendu un jeune de 36 ans pour ça."La sortie de l'économie socialiste dans les années 90 a posé un problème plus inédit. Si les circuits et leur contrôle basculent du public au privé, "comment va-t-on transmettre le pays à nos enfants ?", soupirait un responsable militaire. En Algérie, où tout est importé, depuis les grands hôtels livrés clés en main jusqu'aux oranges, la fin du monopole d'Etat sur le commerce extérieur a fonctionné comme l'esquisse de privatisations. Un premier dispositif a été mis en place avec la loi 78/02 : pour importer, vers l'Algérie, les entreprises étrangères ne peuvent pas faire appel à ce qui est pudiquement appelé "les intermédiaires extérieurs". Autrement dit, non agréés par le régime. "Cela permet une gestion centralisée de la corruption, chaque secteur, des céréales aux médicaments, se retrouve ainsi sous la coupe d'une ou deux petites sociétés très contrôlées, qui servent d'interface, explique un spécialiste. Qui ne passe pas par ces réseaux voit ses marchandises bloquées en douane."Même si elle ne fait encore que s'ébaucher, cette libéralisation suppose des circuits plus larges, d'autant qu'Alger réclame à cor et à cri la venue des investisseurs étrangers. "Les partenaires étrangers du régime lui ont donc conseillé de changer au moins de méthodes, de soigner les apparences et de créer une tête de pont plus crédible, plus acceptable à l'extérieur, explique un policier français du "renseignement". On ne peut plus gérer un pays comme une salle de jeu clandestine."Cette tentative de lifting s'appelle-t-elle Khalifa ? Derrière la façade clinquante de la modernité, pas un bilan réel n'est disponible pour aucune des sociétés du groupe. Le trou noir. Pas même le nom des actionnaires. "La compagnie est présentée soit comme une société uninominale, propriété de Rafik Khalifa, soit comme une société mixte de sept actionnaires, tous issus de la famille Khalifa (...). Mais ces derniers (...) ne servent que de prête-nom", estime la DGSE. Dans ce contexte, le choix du fils Laroussi est "un coup de génie", affirme un policier français. "Quand l'entreprise a commencé à vouloir s'implanter en France, nous avons demandé des renseignements. Mais pour enquêter sur un Algérien, nous passons par les services là-bas. Or comment récolter du sérieux sur quelqu'un qui est en quelque sorte "de la maison", puisque son père est un ancien du Malg ? En entendant le nom "Khalifa", les types d'Alger sont déjà morts de trouille. Dans ce dossier, nous n'avons même pas eu une fuite."
5 Les généraux en embuscade Une entreprise de "blanchiment d'image"Derrière ce théâtre d'ombres émergent pourtant quelques figures et se dessinent des pistes. "Le vrai numéro 2 de la compagnie n'est autre que Abdelghani Bouteflika, frère du Président" et avocat, détaille la DGSE. Ou Saïd, "un autre de ses frères, affairiste notoire". A la fois "ancien du Malg" et très lié au président Bouteflika, Abdelkhader Koudjiti, richissime homme d'affaires est "associé également au capital du groupe". Considéré comme le parrain du régime, le général Larbi Belkheir est "lié à certains des projets" de l'"empire". Il y a quelques mois, un déjeuner à la présidence algérienne, où se trouvait également Gérard Depardieu, avait placé Rafik Khalifa à côté de Larbi Belkheir. "Il ne bougeait pas une oreille. Face à lui, il avait l'air d'avoir 12 ans", se souvient un des hôtes.Tous ces noms tracent les contours d'un des clans du pouvoir algérien, même si cela n'exclut pas les réseaux annexes. Par exemple, les vieux amis du père, comme le général Attaïllia, en qui les services français voient "un des militaires les plus corrompus d'Algérie et un des actionnaires réels principaux". Mais, au-delà, "Khalifa est surtout et aussi une arme de guerre pour préparer la deuxième candidature de Bouteflika en 2004", estime un responsable français. L'indéfectible alliance qui soude les généraux pour préserver la pérennité du système n'empêche pas une concurrence féroce. Indice qui indiquerait que Khalifa se trouve au milieu de cette lutte d'influence, les déclarations du général Mohamed Touati, ennemi juré du "clan présidentiel" en dépit de son statut de "conseiller à la présidence". Acceptant pour la première fois une interview télévisée le 24 octobre, il loue, sur TV5, Khalifa, "jeune chef d'entreprise dynamique". Avant de planter une banderille assassine : "Certains craignent que ce succès rapide ne soit pas durable en raison d'aspects qui leur échappent. Ils aimeraient bien être éclairés sur cette question."Tout bien compté, il ne s'agit pas seulement d'argent avec Khalifa. "A l'échelle des sommes gigantesques brassées par les hydrocarbures ou les circuits de corruption classique, Khalifa paraît bien médiocre, si ce n'est pour des profits ou du blanchiment à la marge", constate un économiste. Là, l'aventure industrielle tourne au roman noir. "Plus que du blanchiment d'argent, il y a un souci immédiat de blanchiment d'image", poursuit cet économiste. Les accusations d'exactions portées contre l'armée inquiètent sérieusement le régime. Il y a deux ans, le général Nezzar fut contraint d'écourter précipitamment une visite dans la capitale française en raison de plaintes pour "tortures" déposées contre lui. Si celles-ci débouchèrent finalement sur un non-lieu, l'ancien homme fort d'Alger fut à son tour débouté d'une plainte contre un sous-officier, qui témoignait des "massacres" de l'armée, après un effrayant déballage public sur les méthodes des militaires algériens devant un tribunal parisien. "Cette vieille génération qui tient tout, le pouvoir, le pétrole, se retrouve soudain frappée du syndrome Pinochet. Alors, elle se demande : "Mais où va-t-on mourir ?", raconte un juriste algérien. Les vieux réseaux de la guerre de libération et les moyens traditionnels de l'Etat algérien ne suffisent plus à redorer son blason et à mobiliser des soutiens extérieurs. Vous pensez que s'ils invitaient Catherine Deneuve à dîner, elle viendrait ?"Pour Khalifa, elle est venue. C'était à l'occasion d'un match de l'équipe nationale algérienne contre l'OM, dont l'"empire" est devenu sponsor en juin 2001. Aujourd'hui, les rapports, les rumeurs de plus en plus insistantes, la demande d'une commission d'enquête, ont voilé les sunlights. Une fête qui s'annonçait somptueuse fin octobre à Paris a été annulée. "Et si ça tournait mal ?", s'inquiète un proche du régime lors d'une réunion sur ce dossier à Alger. Un gradé : "En France, il peut faire toutes les bêtises. En Algérie, s'il bouge de travers, il est mort. Après tout, le commerce, c'est privé. Il prend ses risques."
(1) Histoire d'un envol, biographie écrite par la journaliste canadienne Denyse Beaulieu.
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Une chaîne de télé mise sur orbite à la hussarde
Lancée en France en toute illégalité, la diffusion de Khalifa TV a cessé.
Par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
Le vieux rêve de Rafik Khalifa d'ajouter une lucarne à son empire en créant une "M6 algérienne" a du plomb dans l'aile. Vendredi à minuit, sous la pression du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), Khalifa TV a cessé d'émettre. La demande d'autorisation, indique Joseph Daniel, membre du CSA, a été déposée "tout à la fin du mois d'août". Et le 3 septembre, en toute illégalité, avant que le CSA ait le temps d'ouvrir le dossier, Khalifa TV commence sa diffusion sur l'Europe et le Maghreb via satellite, débitant clip sur clip, alternant raï et variétés occidentales.Gratin international. Le soir même, au lieu de la traditionnelle conférence de presse, Khalifa organise "la fête la plus incroyable de l'année", selon Nice Matin. Dans sa villa sur les hauteurs de Cannes "grande comme trois palaces, avec à l'intérieur plusieurs restaurants, quatre piscines et un plan pour se repérer", se souvient un invité , il a fait venir le gratin français et international : Catherine Deneuve, Sting, Naomi Campbell... On y croise aussi Hervé Bourges, ex-patron du CSA où il garde une certaine influence et président de "2003, année de l'Algérie" en France. Certaines stars ont reçu un cadeau pour s'afficher ici : "Pour Mélanie Griffith, raconte un familier, Khalifa a fait un gros don à la Sabera Fondation, l'association en faveur des femmes indiennes dont elle est présidente d'honneur." Pour d'autres, l'obole est versée directement. Gérard Depardieu est également de la fête. Il vient alors de négocier avec le président algérien l'exploitation de 150 hectares de vignes à Tlemcen, en association avec Khalifa et l'homme d'affaires Bernard Magrez. Lorsque, trois semaines plus tard, le député-maire de Bègles, Noël Mamère, refuse de rencontrer Khalifa, c'est l'acteur qui prend sa défense, accusant le député vert de "racisme" et de "chier dans son froc de velours".Le 4 octobre, le CSA envoie une lettre d'admonestation à Khalifa TV, afin "de lui rappeler les termes de la loi", soit la menace d'une amende de 75 000 euros pour diffusion pirate. Malgré l'appui de Bourges, le CSA n'est pas satisfait des réponses reçues : comme des autres chaînes, il attend de Khalifa TV des précisions sur ses programmes, sur le respect du pluralisme... Le CSA doit aussi vérifier que le capital de Khalifa TV, basé en France, ne dépasse pas le seuil autorisé des 20 % d'actionnaires non européens.Pendant ce temps, Khalifa cherche à recruter des stars pour sa chaîne : l'humoriste Jamel Debbouze refuse, de même que le journaliste de France 2 Rachid Arhab. L'animateur de Canal + Karl Zéro, lui, a accepté de participer à un débat diffusé sur Khalifa TV. Zéro et Khalifa se connaissent : le premier faisait en effet partie du tour de table du magazine du second, le Vrai Papier Journal. Selon Zéro, Khalifa a quitté son magazine "un peu avant sa mise en sommeil" : "Il m'a dit être superstitieux et ne pas vouloir associer son nom à un dépôt de bilan." Egalement présents sur le plateau du débat, les directeurs de deux journaux algériens, El-Watan et l'Expression. Dans ce dernier, proche de Bouteflika, on pouvait lire récemment : "Le souci premier de Khalifa est d'améliorer l'image de l'Algérie en Europe et surtout d'éviter de tomber dans le piège de certains magnats qui créent des "télévisions écrans" pour fustiger les régimes qui les dérangent."Déménagement. Le 15 octobre, le CSA hausse le ton et conditionne l'examen du dossier à l'arrêt de la diffusion. Vendredi, la tante de Khalifa, Djaouida Jazaerli, avocate à Paris et éminence grise du groupe, accède enfin à la demande. Elle indique au CSA qu'un nouveau dossier va être déposé, cette fois en bonne et due forme. Un dossier que le CSA ne recevra peut-être jamais : Khalifa envisage de déménager sa chaîne en Grande-Bretagne, où la réglementation est plus libérale. Ce qui ne l'empêchera pas d'être diffusée en France, puisque, dans l'Union européenne, il suffit qu'une chaîne soit autorisée dans un Etat membre pour pouvoir émettre dans tous les autres.
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Recherche 1 000 emplois fictifs...
C'était la promesse de l'Eldorado, du Pérou et de peut-être mieux encore. Sous forme de petite annonce dans la presse algérienne, cela donnait : la société Khalifa embauche 1 000 personnes. Se présenter à l'hôtel Aurassi, Alger. Mille postes dans cette Algérie exsangue, 40 % de chômeurs, où 14 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté et 500 000 ont été licenciées dans le secteur public en dix ans ? L'espoir d'un poste dans ce pays où l'eau ne coule au robinet, au mieux, qu'un jour sur trois et où on s'entasse à cinq, six par pièce ? De partout, d'Alger, d'Oran ou de Constantine, hommes et femmes se précipitent. Ils sont 3 000, sans doute plus.Munis de la petite annonce comme d'un talisman, certains candidats passent la nuit dehors, devant ce grand hôtel considéré comme le préféré des hommes d'affaires internationaux. L'un d'eux s'étonne auprès d'un cadre de Khalifa : "Vous ne pensez pas qu'il aurait mieux valu une première sélection par CV ?" L'autre hausse les épaules et répond, sans qu'on sache s'il s'agit de la vérité ou d'une boutade : "De toute façon, nous ne comptons engager personne. Mais l'important, c'est qu'on dise que nous embauchons."
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