lundi, février 05, 2007
EL EULMA "SUR LA TETE DE MON CONTAINER"
"SUR LA TETE DE MON CONTAINER"
Marché «Dubaï» d’El Eulma15/08/06Marché «Dubaï» d’El Eulma«Sur la tête de mon container»Aujourd'hui, le marché n'est plus ce quartier né quelque part à la sortie de la ville comme il l'était à ses débuts. Le succès et la notoriété aidant, plusieurs quartiers ont été créés tout autour faisant de ces ex-villas autrefois éparses, un vrai pôle où se côtoient régulièrement des milliers de personnes.«Ici, vous trouvez tout ce que vous cherchez, sauf vos parents. Et là encore…». Ces paroles, vous les entendez à chaque fois que vous êtes à «Dubaï». Pas Dubaï l’émiratie, la grande métropole commerciale du Golfe persique, l’une des plus riches aussi, c’est trop loin de chez nous ça, mais plutôt celle que vous trouvez une fois que vous êtes à El Eulma, la «Mecque» des commerçants mais surtout celles des importateurs. Le marché le plus célèbre du pays. Au point où la ville, distante de 27 km de Sétif, s’est transformée – et s’est imposée – au bout de quelques années d’urbanisation vertigineuse et anarchique, en un centre urbain où le commerce marche le mieux. Le commerce c’est, si vous voulez, la religion du coin. Ici, on ne jure que par le container, l’euro et la «kaoukaoua» la Mercedes coqueluche de la «jet set eulmite». Dieu vient après. La foi et ce magma de choses abstraites, c’est bon le soir, quand on baisse les rideaux. Et ce, même si cette daïra de 350 000 habitants, encense une quinzaine de mosquées. Aussi nombreux, et mille fois plus, sont encore les habitués du marché, marchands et clients, détaillants et grossistes… A «Dubaï», tout le monde vient piocher sa chance. C’est la boîte de Pandore. «Les gens viennent des quarante-huit wilayas du pays pour se remplir les poches», nous explique un marchand de meubles. Le flux, il est vrai, est d’autant plus important et les opportunités d’affaires tellement sérieuses et à plus d’un titre envisageables, que partout dans la ville, des commerçants venant des quatre coins du pays s’installent, souvent en famille, pour de bon. Il faut compter aussi avec les émigrés qui, chaque jour que Dieu fait, prennent d’assaut les lieux et s’achètent avec leurs euros qu’ils revendent à des prix élevés, tout ce qui leur passe sous le nez. Les Tunisiens, eux, ne sont pas en reste de cette marée humaine qui jonche quotidiennement les ruelles des 426 lotissements du marché. Chaque lundi, un bus en provenance de Tunis fait débarquer de nombreux marchands tunisiens happés par la variété des produits mais c’est aussi et surtout les bas prix qui intéressent nos voisins.Le règne de «containerologues»Aujourd’hui donc, le marché n’est plus ce quartier foutu quelque part à la sortie ouest de la ville comme il l’était à ses débuts, en 1997. Le succès et la notoriété aidant, plusieurs quartiers ont été créés tout autour faisant de ces ex-villas, autrefois éparses, un vrai pôle où se côtoient régulièrement des milliers de personnes. Dubaï c’est devenu la capitale d’El Eulma. La capitale économique a-t-on envie de corriger. A lui seul, le marché, compte plus de 1 000 boutiques. Les mini-centres commerciaux naissent comme des champignons. On y entre de partout. Toutes les ruelles mènent à Rome. Et on y trouve de tout. Justement, l’on aimerait bien énumérer le nombre des produits mais faut d’espace typographique et pour ne pas aussi user un lecteur déjà harassé par la longueur du texte, contentons-nous seulement de citer de la marchandise qui y fait florès comme les produits électroménagers, les meubles, l’électronique, l’habillement, la pièce détachée…bref, on se croirait, avec un peu d’exagération, dans une petit paradis vu la profusion des produits. Le tout pour des clopinettes. C’est trois fois moins cher qu’Alger, Annaba ou Oran. «Les prix sont alléchants. On ne trouve pareil dans tout le pays. Les classes moyennes y trouvent ici leur bonheur. C’est là où réside justement tout le succès de Dubaï» reconnaît Hichem A, marchand d’articles divers. Jugeons-en. Un lecteur DVD cédé à Alger à 10 000 DA, vous l’aurez à Dubaï à 3 500 DA. Le démodulateur numérique que l’on se procure ici à 8 000 DA ne dépasse pas, à El Eulma, les 4 000 DA, soit la moitié. Bref, il ne faut pas être grand clerc pour dire, quand même, qu’à «Dubaï», on affiche une bonne mine avec quelques sourires de plus. Et ce sourire-là, ils sont très nombreux ceux qui le suscitent et qui l’entretiennent : les importateurs. Les seigneurs de «Dubaï». Les hommes par qui le «bonheur» arrive. Sans eux le marché est dépeuplé pour modifier la maxime de Baudelaire. Le plus pauvre d’entre eux coûte 20 milliards de centimes ! L’on se demande combien serait la valeur des plus nantis. On croit rêver. Ils viennent de partout, ces importateurs, et ce ne sont pas, tous, les fils du bled. On y trouve des Algérois, des Oranais, des Constantinois, des Jijeliens et aussi… les Eulmites, qui font autorité dans la ville. Chaque jour, ces «containerologues» acheminent, en masse, leurs produits dans les magasins de «Dubaï». Une marchandise qu’ils importent principalement de Chine, depuis Shanghai où ils se rendent régulièrement. Les autres, leur préfèrent Dubaï, la vraie, la grande ville commerciale des Emirats arabes unis. Il paraît que la qualité est nettement meilleure que celle du pays du milieu et que l’acheminent des containers sur le port d’Alger ne dépasse pas les quinze jours. Alors qu’on met plus de trois mois pour faire parvenir les produits chinois. Tout est une question de temps et d’argent aussi. Ce sont, les deux pays, les seuls pays fournisseurs. Les deux pays qui font de ces rois du container, ce qu’ils sont actuellement.Pas de rose sans épinesDes Rois, oui mais des Rois vulnérables. Car, – tout le monde s’accorde à le dire, même si certains nuancent leurs critiques – si «Dubaï» est le petit paradis des classes moyennes, comme le pense notre marchand de meubles, le marché ne saurait échapper aux flammes de son enfer. Le revers de sa médaille. La face cachée du bonheur qu’il procure. Et ceux qui le fréquentent depuis quelques mois, vous diront sans doute le malaise grandissant et l’angoisse qui ronge les commerçants. «Le commerce connaît depuis huit ou dix mois, un ralentissement inquiétant. La demande s’est considérablement réduite alors que l’offre est trois fois plus importante», analyse Abbas, un as de l’électroménager. Baisse, ralentissement, torpeur… ce sont au juste les mots qui reviennent depuis quelque temps sur les bouches à «Dubaï». L’activité a connu une chute vertigineuse de 80%. Plus de 20% des marchands ont fermé boutique. Le moral est en berne et rien ne dit qu’il va remonter de sitôt. La vérité, elle, est loin d’être tout à fait divulguée. Car s’il est vrai d’ailleurs que l’offre a écrasé la demande, la formule ne saurait cependant expliquer toute cette déconfiture. Et ici à «Dubaï» personne ne tient à le dire tout haut. «La demande a baissé parce que les produits importés ne sont pas de qualité. Les clients se montrent maintenant plus exigeants. Tous, ils préfèrent ajouter quelques sous pour acheter un produit de qualité», observe Abbas. Autres temps, autres mœurs. Finie, du moins pour l’heure, la belle époque. Les 2 000 glorieuses, lorsqu’à partir de cette année, le marché était au fait de sa gloire. Où «Dubaï» était le centre de gravité du commerce algérien. Où, aussi, le marchand de l’électroménager gagnait chaque jour quatre millions de dinars. Les donnes ont basculé pour ne pas dire carrément périclité. Le plus ingénu aujourd’hui ne fait pas une recette de 500 000 DA.Et encore, c’est déjà une sacrée cagnotte qui pour beaucoup relève du miracle. Grandeur et décadence. Le trafic et les tours de passe-passe (trafic des registres du commerce, fausses déclarations…) dont se sont rendus célèbres de nombreux importateurs et les scandales qui se sont suivis, ont sonné le glas de ce haut lieu de commerce qui allait dévorer le pays en entier. Mais tous refusent de voir la vie en noir et espèrent retrouver leurs prouesses, comme autrefois.La tâche n’est pas aisée de ressusciter un marché qui menace de banqueroute. Elle appelle à faire beaucoup de sacrifices, comme le pense Abbas qui, lui, comme beaucoup de ces marchands, redorer le blason du marché en améliorant la qualité des produits.Qu’on n’importe pas n’importe quoi comme c’est le cas actuellement et qu’on bannit à jamais la contrefaçon. Une vaste entreprise. Une chimère. Car d’autres «Dubaï» sont en train de naître un peu partout à El Eulma avec les mêmes pratiques et presque les mêmes personnes. Les beaux jours ne sont pas pour demain. Hélas.A. G.